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Micropropagation par microgreffage du pistachier vrai (Pistacia vera L.) sur le caroubier (Ceratonia siliqua L.)

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W.Khouadja 1,2

L.Hamrouni 1

A.Ben Ammar 3

M. Hanana 4

S. Bouzid 2

ML. Khouja 1  

1Laboratoire d’Ecologie et d’Amélioration Sylvo-Pastorale, Institut National de Recherches en Génie Rural Eaux et Forêts, P.B. 10, 2080 Ariana Tunisie.

2 Faculté des Sciences de Tunis, el Manar II, 2092. Tunis

3 Faculté de Médecine de Tunis.

4 Centre de Biotechnologie de Borj-Cédria, B.P. 901, 2050 Hammam Lif, Tunisie.

Abstract - In order to overcome the problems of pistachio multiplication, the technique of in vitro micro-grafting was considered. The lack of success with several pistachio rootstock species leads us to find specie. In this context, carob tree could be a potential candidate as a rootstock material. Indeed, our study of in vitro micro-grafting of the pistachio (Pistacia vera L.) on carob tree (Ceratonia siliqua L.) displayed satisfying results and showed that the micro-grafting on the hypocotyle (longitudinal split) is more effective with a rate of success (58 %) than on the epicotyle (35 %). Moreover, the use of liquid medium instead of solid one greatly improved the results, micro-grafting survival rate increased from 10 to 68 %. The compatibility of the grafting is observed one month after the culture. Also histological observations demonstrated the efficiency of this technique of micro-grafting as a way of reproduction and improvement and also the histological sections show that the union of grafting begins with the development of calli between the rootstock and the transplant. Later, vascular elements, such as vessels and tracheïds, are established in the zone of interface.

Keywords: carob / micrografting / micropropagation / pistachio

Résumé - Afin de surmonter les problèmes de multiplication du pistachier, nous avons envisagé la technique de micro-greffage in vitro. Le manque de succès faisant suite à l’utilisation de différentes espèces de pistachier comme porte-greffe nous a mené à chercher une autre espèce. A cet égard, le caroubier pourrait constituer un bon candidat en guise de porte-greffe. En effet, notre étude de micro-greffage in vitro du pistachier (Pistacia vera L.) sur le caroubier (Ceratonia siliqua L.) a permis d’obtenir des résultats satisfaisants et de mettre en évidence que le micro-greffage sur l’hypocotyle (en fente longitudinale) est plus efficace que sur l’épicotyle, avec un taux de succès de la technique de 58% et 42,5% respectivement. D’autre part, l’utilisation du milieu liquide au lieu du solide nous a permis d’améliorer considérablement les résultats, le taux de survie des micro-greffes est passé de 10 à 68 %. La compatibilité du greffage est observée un mois après la mise en culture. De même des observations histologiques ont démontré l'efficacité de cette technique de microgreffage in vitro comme technique de multiplication et d’amélioration et aussi les coupes histologiques montrent que l’union de greffage commence par le développement d’un pont des cals entre le porte-greffe et le greffon. Après, des éléments vasculaires, telle que les vaisseaux et les trachéïdes, sont établis dans la zone d’interface.

Mots clés : caroubier / microgreffage / micropropagation / pistachier

 

1. Introduction

Le genre Pistacia comprend 4 sections et 11 espèces (Zohary 1952) et Pistacia vera constitue la seule espèce produisant des fruits comestibles (Joley, 1979). Elle est très utilisée en industrie alimentaire, particulièrement en pâtisserie et en confiserie et représente une espèce de reboisement vue sa tolérance à la sécheresse (Oukabli, 2005). En 1985, la production mondiale de pistaches a été de 127.000 tonnes, alors qu’en 2005 la production était de 501.000 tonnes (FAO, 2005). En Tunisie, malgré l’importance écologique mais aussi économique du Pistacia vera, cette espèce demeure peu cultivée (avec une production de 800 tonnes seulement en 2005) en raison de sa grande sensibilité aux nématodes et champignons et de sa croissance très lente (Chatibi, 1999). En effet, l’arbre n’entre en production qu’après 6 à 8 ans, et le rendement obtenu dans les premiers vergers adultes est faible pendant les 10 premières années et ne devient important qu’à l’âge adulte (10 à 20 ans) (Oukabli, 2005). Le développement et l’obtention d’un moyen de multiplication rapide et efficace de cette espèce en exploitant les techniques de propagation s’avèrent ainsi une nécessité en vue de rétablir et réhabiliter cette ressource. Le micro-greffage peut constituer un moyen de multiplication et d’amélioration efficace mais aussi comme une solution d’appoint aux problèmes de la reproduction végétative et de l’adaptation aux conditions pédoclimatiques et biotiques, et comme alternative pour contourner les barrières de l’incompatibilité entre le greffons et le porte-greffe, et réduire la sécrétion de substances phénoliques et de résines au niveau des surfaces cicatrisées (Kuru, 1993 ; Okay et al., 1995 ; Sheibani et Villiers, 1995). Toutefois, le choix du porte-greffe doit être effectué en fonction de ses qualités physiologiques (vigueur conférée, aptitude à tolérer les contraintes abiotiques et biotiques, …) et de sa compatibilité avec le greffon. Plusieurs espèces du genre Pistacia ont été utilisées comme porte-greffe pour Pistacia vera telles que ; Pistacia terebinthus, P. khinjik et P. atlantica. Cependant, ces derniers n’ont pas permis d’obtenir et d’atteindre les résultats escomptés. En effet, des obstacles liés à la nécrose apicale de l’association porte-greffe/greffon (due à une mauvaise fusion des tissus et échec du greffage), à la contamination des explants (fragilité et sensibilité des tissus cultivés in vitro) et surtout à l’incompatibilité de ces espèces (Méderos-Molina, 1990 ; Can et al., 2006) se sont opposés à la réussite du greffage. Onay et al. (2003 et 2004) se sont alors penchés sur l’homo-greffage de P. vera, et ont obtenu des résultats positifs (70 % de réussite du micro-greffage) mais avec des explants de départ âgés (3 à 5 mois pour les porte-greffes et un an pour les greffons) et une lente reprise de croissance des plantules micro-greffées après leur transfert ex vitro (moins de 50 % de survie). La recherche d’autres espèces de porte-greffe reste donc encore un choix légitime à effectuer en raison de l’absence ou du manque de réussite obtenu par ces porte-greffes. Le caroubier, Ceratonia siliqua L., est une espèce forestière spontanée typiquement méditerranéenne présentant des caractéristiques adaptatives et physiologiques intéressantes (adaptation à différentes conditions pédo-climatiques, bonne vigueur, germination facile, multiplication rapide) (Rejeb, 1995) ; de ce fait nous avons pensé l’utiliser comme porte-greffe pour le P. vera. Ainsi, l’objectif du présent travail est de réaliser le micro-greffage in vitro du Pistacia vera sur Ceratonia siliqua afin de surmonter les problèmes et obstacles liés au micro-greffage précédemment évoqués et d’améliorer la multiplication du pistachier de façon efficace et en un temps relativement court.

 

2. Matériel et méthodes

2.1. Matériel végétal

Les porte-greffes et greffons utilisés, respectivement Ceratonia siliqua L. et Pistacia vera L., sont issus de la germination des graines collectées en 2008 à partir d’arbres adultes du jardin botanique de l’Institut National de Recherches en Génie Rural Eaux et Forêts (INRGREF).

 

  1. Méthodologie

Les microboutures de Pistacia vera prélevées sur des jeunes plantules issues de germination in vitro sont greffées sur Ceratonia siliqua selon une fente longitudinale pratiquée à la surface de l’épicotyle ou de l’hypocotyle (avec ou sans racines) des jeunes plantules in vitro (figure 1). La zone de greffage est ligaturée par du parafilm et l’ensemble ‘porte-greffe-greffon’ est cultivée in vitro sur milieu MS (Murashige et Skoog, 1962) liquide ou solide additionné de régulateurs de croissance. Par la suite, après 30-40 jours de culture, les plantules greffées et d’aspect vigoureux sont transférées sur milieu MS additionné d’ANA (Acide Indole-3-Acétique) afin de favoriser la rhizogenèse. Les plantules enracinées sont transférées en pot sous serre en vue de leur acclimatation.

 

Figure 1. Méthodologie du microgreffage de Pistacia vera sur Ceratonia siliqua.

A : micro-greffon du P. vera taillé en U ; B : porte-greffe du ceratonia siliqua coupé en fente longitudinale ; C : plante greffée en fente longitudinale ; D : plante greffée in vitro enracinée.

 

  1. Multiplication in vitro

    1. Germination in vitro des graines de P. vera et C. siliqua

      1. Protocoles de désinfection des graines

Afin d’éviter les contaminations, nous avons optimisé un protocole de désinfection pour chaque espèce.

  • Cas de P. vera : les graines sont tout d’abord lavées à l’eau savonnée, ensuite traitées avec un fongicide pendant 30 min. Après trois rinçages avec l’eau distillée, les graines sont trempées dans l’éthanol (70°) pendant 2 min suivit d’un bain d’eau oxygénée (10) durant 5 min. Ensuite un autre bain de Bichlorure de Mercure (1g.l-1) pendant 10min et finir le protocole de désinfection avec 3 à 4 rinçage avec l’eau distillée stérile.

  • Cas de C. silica : les graines sont tout d’abord trempées dans une solution concentrée d’acide sulfurique pendant 10 min, ensuite traitées Bichlorure de Mercure (1g.l-1) pendant 30 min et finir le protocole de désinfection avec 3 à 4 rinçage avec l’eau distillée stérile.

 

      1. Mise en culture in vitro des graines

Les graines sont ensuite mises à germer dans des bocaux contenant le milieu MS (Murashige et Skoog, 1962) additionné de 1 mg/l GA3 (uniquement pour P.vera), 20 g/l saccharose et solidifié par 8 g/l agar. L’ensemble est disposé dans une chambre de culture à 25° C sous une intensité lumineuse de 1500 lux et une photopériode de 16h de lumière et 8h d’obscurité.

 

    1. Subculture des vitroplants et préparation des explants au micro-greffage

Vingt jours après la germination du Pistacia vera, les plantules obtenues sont débarrassées de leurs cotylédons et racines puis repiquées sur un milieu MS additionné de 0.5mg/l BAP, 0.5mg/l GA3, 0.1mg/l AIB, 20 g/l saccharose et solidifié par 8 g/l agar afin d’augmenter leur vigueur (condition indispensable pour assurer la réussite du micro-greffage). Pour le caroubier, 30 jours après l’initiation de sa germination, on prélève sur les jeunes plantules 3 types d’explants (épicotyle, hypocotyle sans racines et hypocotyle avec ses racines, fig. 1) à repiquer sur le même milieu que le précédent afin d’obtenir également des explants vigoureux et aisément manipulable lors de l’opération du micro-greffage.

 

    1. Le micro-greffage

Après 2 semaines de culture in vitro des explants destinés à fournir les greffons et porte-greffes, le micro-greffage est effectué en fente simple (Fig. 1). Les micro-boutures de P. vera servant de greffon (1 à 2 cm de longueur) sont excisées et taillées en biseau de manière à éviter une ouverture trop large et trop profonde lors de son insertion dans les tissus du porte-greffe. Les différents types de micro-bouture de C. siliqua (épicotyle, hypocotyle sans racines et hypocotyle avec ses racines puis greffées sur, Fig. 1) sont prélevés après avoir éliminé les bourgeons axillaires et préparés en réalisant une fente simple pour recevoir le greffon. Puis, sous loupe binoculaire et en conditions aseptiques, on procède à l’assemblage des deux parties en prenant soin de ne pas fragiliser et stresser les tissus. Les plantules greffées sont alors cultivés dans des tubes à essai contenant un milieu MS liquide ou solide (8 g/l agar) additionné de 0.5mg/l BAP, 0.5mg/l GA3, 0.1mg/l AIB et 20 g/l saccharose. Sachant que les plantules greffées vont être fixées sur le milieu liquide à l’aide d’un papier filtre stérile.

 

    1. Enracinement et acclimatation en serre

Après 30-40 jours de culture, les plantules ayant présentées une reprise de développement végétatif (débourrement de nouveaux bourgeons) et d’aspect vigoureux sont transférées sur milieu MS additionné d’ANA afin de favoriser la néoformation de racines. Finalement, les plantules enracinées sont transférées en pots remplis de substrat de culture (½ perlite, ½ terreau) en vue de leur acclimatation sous serre (Humidité relative : 80%, Température : 25°C, Eclairage naturel) et arrosées quotidiennement avec de l’eau de robinet.

 

    1. Examen histologique de la zone de greffage

Des examens histologiques, sur des coupes semi-fines, ont été réalisés afin de s’assurer de l’affinité entre le greffon et le porte-greffe ainsi que de la fusion entre les deux compartiments. Des plants d’un mois et 40 jours greffés sont d’abord fixés au glutaraldéhyde à 50% dilué dans une solution tampon de cacodylate de sodium. Ensuite, les échantillons sont soumis à une déshydratation graduelle dans l’éthanol de 20% à 100%. Les échantillons fixés puis déshydratés sont ensuite inclus dans une résine époxy (EPON 812). Les coupes semi-fines, d'une épaisseur de 1µm, ont été confectionnées à l'aide d'un ultra-microtome (REICHERT ULTRACUTE), puis colorées avec un mélange de bleu de méthylène et  de bleu de toluidine (v/v). Enfin, les coupes sont observées au microscope optique (D'Khili, 1995).

 

  1. Résultats

    1. Préparation du matériel végétal utilisé dans le micro-greffage

      1. Cas du Pistacia vera

Au cours de la multiplication in vitro du Pistacia vera, nous avons été confrontés à deux problèmes majeurs qui influent sur la quantité et la qualité des plants obtenues : la contamination des graines et la nécrose apicale des plantules. Pour résoudre le problème de la contamination des graines, nous avons donc optimisé un protocole de désinfection pour lequel la durée de trempage dans le bain de bichlorure de mercure s’est avérée capitale (tableau 1). En effet, en appliquant une durée de 15 minutes cela s’est avéré létal et toxique pour les graines. Ainsi le taux de germination obtenu est pratiquement de 100% et la longueur des plants atteinte après 20 jours est de l’ordre de 4cm. D’autre part, le second problème généralement rencontré lors de la multiplication in vitro du Pistacia vera est la nécrose apicale des plantules (Barghchi et Alderson, 1985 ; Abousalim et Mantell, 1994). Nous avons remédié à cela en utilisant les compresses stériles au lieu des bouchons en plastique pour couvrir les flacons. Nous avons pu ainsi éliminer intégralement le problème de nécrose apicale.

 

      1. Cas du Ceratonia siliqua

La germination in vitro du caroubier ne pose aucun problème, en effet nous avons facilement atteint un taux de germination de 100 %.

Tableau 1. Effet de la durée de traitement au bichlorure de mercure sur le pourcentage de contamination des graines de P. vera.

Durée de traitement (min)

0

5

10

15

% contamination

65.5

44.4

12.2

12.2

 

    1. Micro-greffage

      1. Effet du type de milieu de culture

Après avoir utilisé 2 types de milieu de culture (solide et liquide) des micro-greffes, nous avons constaté une différence de comportement de celles-ci (tableau 2). En effet, le taux de survie des micro-greffes obtenu sur le milieu solide était très faible (10%), alors que sur le milieu liquide il a atteint une valeur relativement élevée (68%). De plus le pourcentage de reprise, que cela soit par l’estimation du paramètre de débourrement du bourgeon apical ou des bourgeons axillaires, est toujours supérieur en milieu liquide qu’en milieu solide, 35 et 10% respectivement. D’autre part aucun débourrement de bourgeons axillaires n’est observé sur milieu solide. Le taux de réussite du micro-greffage obtenu en milieu liquide est de 23.5 %, alors qu’il est pratiquement nul en milieu solide (1%). L’utilisation du milieu liquide pour le micro-greffage a donc permis d’obtenir des résultats relativement satisfaisants, surtout qu’il s’agit d’espèces totalement différentes et pour lesquelles l’obstacle de l’incompatibilité a été surmonté puisque le greffage a réussi, même si ce dernier peut être amélioré.

 

Tableau 2. Comportement des micro-greffes (apex de P. vera greffé sur l’épicotyle de caroubier) en fonction du type du milieu de culture, après un mois de culture.

 

Milieu

% Survie

% Reprise

% Débourrement de bourgeon apical

% Débourrement de bourgeons axillaires

% réussite

Solide

10

10

10

0

1

Liquide

68

35

7.5

27.5

23.8

 

      1. Effet du type d’explant servant de porte-greffe (épicotyle, hypocotyle) en milieu liquide

L’existence d’une différence de diamètre entre le porte-greffe et le greffon a posé problème lors de la réalisation du micro-greffage. En effet, lorsque le diamètre du greffon est plus grand que celui du porte-greffe, il peut provoquer une ouverture exagérée et déchirure des tissus lors de la réalisation de la fente longitudinale conduisant à la nécrose du porte-greffe et par conséquent à l’échec du greffage. Etant donné que la réussite du greffage est intimement liée et en grande partie conditionnée par la nature du porte-greffe, et afin d’augmenter le taux de réussite du micro-greffage, nous avons testé différents type de porte-greffes. En premier lieu et dans le but de nous assurer de l’auto-compatibilité du caroubier et en guise de témoin positif, nous avons réalisé l’homo-greffage du caroubier. Les résultats ont prouvé l’absence de phénomène d’auto-incompatibilité chez le caroubier, avec 33% de réussite et une bonne reprise d’activité végétative, particulièrement celle du débourrement du bourgeon apical (tableau. 3). L’utilisation du caroubier en tant que porte-greffe constitue donc à priori une technique applicable avec le pistachier. On remarque que le micro-greffage de P. vera sur l’épicotyle de caroubier affiche un taux de survie supérieur à celui de l’homo-greffage du caroubier (tableau. 3). Ce dernier résultat est significatif d’une bonne compatibilité entre les espèces et d’une affinité positive entre les différents tissus au cours de leur fusion, justifiant et confortant ainsi notre choix de caroubier en guise de porte-greffe pour le pistachier. Néanmoins, les pourcentages de reprise et de réussite obtenus au cours de l’homo-greffage sont supérieurs à ceux de l’hétéro-greffage (P. vera sur caroubier) (Tab. 3). Ce qui nous a mené à tester l’hypocotyle en guise de porte-greffe. Ce dernier s’est avéré plus intéressant puisqu’il nous a permis d’améliorer de manière remarquable les taux de survie et de réussite du micro-greffage par rapport aux autres micro-greffages (homo-greffage et hétéro-greffage utilisant l’épicotyle comme porte-greffe) (tableau. 3). L’utilisation de l’hypocotyle au lieu de l’épicotyle a donc constitué un moyen d’améliorer le micro-greffage. Nous avons pu atteindre ainsi 40 % de réussite. Nous avons pu remarquer également que contrairement à l’homo-greffage, le taux de débourrement des bourgeons axillaires chez l’hétéro-greffage (quel que soit l’explant, épicotyle ou hypocotyle) était plus élevé que celui du bourgeon apical.

Tableau 3. Effet des différents types d’explant sur les paramètres de microgreffage

Milieu

% Survie

% Reprise

% Débourrement de bourgeon apical

% Débourrement de bourgeons axillaires

% Réussite

Caroubier/Caroubier (sur l’épicotyle)

58

57.5

47.5

10

33.3

P.vera /Caroubier

(sur l’épicotyle)

 

68

 

35

 

7.5

 

27.5

 

23.8

P.vera /Caroubier

(sur l’hypocotyle)

 

70.83

 

58

 

15.15

 

42.85

 

41.08

 

      1. Examen histologique de la zone de greffage

L’examen histologique réalisé sur les plantes greffées permet de vérifier le degré de compatibilité et le niveau de fusion entre le greffon et le porte-greffe et par conséquent la réussite de greffage entre les deux espèces. Les coupes histologiques effectuées (figure. 2) permettent de confirmer la compatibilité entre le porte-greffe et le greffon, expliquant ainsi le pourcentage élevé de succès de greffage. La néoformation de tissus vasculaires (vaisseaux et nodules trachéïdiens différenciés) observée au niveau de la zone de greffage (figure. 2B) est synonyme de l’affinité entre les tissus des deux espèces. Après deux semaines de culture, les coupes histologiques montrent le début de fusion du point de greffage par le développement d’un pont des cals dans la zone d’interférence entre le greffon et le porte-greffe, et ceci se manifeste par la division cellulaire du tissu des deux partenaires (fig. 2B). Après plusieurs jours, la différenciation cellulaire débutera au niveau des cellules parenchymateuses des deux partenaires et l’on note bien sur la figure 2 l’existence d’une plage de cellules dédifférenciées riches en grain d’amidon et en cours de division, visible à leur cytoplasme dense. Le greffage réussi est observé un mois après la mise en culture in vitro, quand le greffon commence à présenter une croissance vigoureuse. Les tissus vasculaires entrent en contact avec les tissus cambiaux, offrant la possibilité d’une connexion vasculaire ultérieure, telle que les nouveaux éléments vasculaires y compris les vaisseaux et les trachéides vont s’allonger pour s'unir dans la zone d'interférence (figure. 2B et C).

 

Figure 2. Examen histologique d’une coupe longitudinale d’une plante greffée de Pistacia vera sur Ceratonia siliqua. PG : Porte-greffe, Gr : Greffon, ZI : Zone d’interface.

A : Coupe longitudinale effectuée au niveau de la zone de greffage après 30 jours de culture in vitro (Grossissement = 10X). 

B : Coupe longitudinale effectuée au niveau de la zone de greffage après 30 jours de culture in vitro présentant le début d’allongement et de différenciation cellulaire (Grossissement = 40X). 

C : Coupe longitudinale effectuée au niveau de la zone de greffage après 40 jours de culture in vitro présentant une différenciation cellulaire en tissu vasculaire (Grossissement = 100X).

 

4. Discussion

Le problème de nécrose apicale qui s’est manifesté est dû à une déficience en bore (Barghchi et Alderson, 1989; González Garcia, 1990) et/ou en calcium (Barghchi, 1986 ; Barghchi et Alderson, 1989 ; Abousalim et Mantell, 1994) qui seraient à l’origine de perturbations métaboliques graves. Alors que certains auteurs attribuent ce phénomène à la déficience en bore et en certaines enzymes qui induisent la libération de composés phénoliques entraînant la nécrose des vitroplants. C’est notamment le cas du palmier à huile (Rajaratnaman et al., 1971), du pommier, de la canne à sucre (Shkolnik, 1984) ainsi que de Pistacia vera (Barghchi et Alderson, 1989; González Garcia, 1990). L’addition de bore à une concentration de 1.62 mg/l dans le milieu de culture à pH=5.4, réduit considérablement le noircissement des milieux (dû aux composés phénoliques) et la nécrose apicale des vitropousses de Pistacia vera L. Cependant, ce traitement entraîne la réduction du nombre de bourgeons par vitropousse et la déformation des feuilles ainsi que la nécrose basale des cultures (González Garcia, 1990). Barghchi et Alderson (1989) ont proposé l’addition dans le milieu de culture de 200 µM de bore, mais ce traitement entraîne une réduction du taux de multiplication. L’addition dans le milieu de culture de 12 à 24mM de calcium contrôle le problème de nécrose apicale des vitropousses du pistachier vrai sans réduire le taux de multiplication (Barghchi, 1986). De même, l’application directe de cet élément sur les bourgeons apicaux et sur les feuilles du Pistacia vera L. cv. Mateur empêche complètement ce phénomène (Abousalim et Mantell, 1994). Alors que la résolution du problème de nécrose apicale, dans nos études, s’est manifestée par l’aération des cultures à l’aide d’un bouchon en compresse stérile sans addition de bore ni de calcium dans le milieu de culture.

En utilisant l’hypocotyle comme explant de porte-greffe, le taux de succès du greffage (estimé par la réussite de la reprise végétative) obtenu par nos travaux dépassent ceux de Hsina et El Mtili (2009) (avec 58% contre 52%). D’autre part Chatibi (1999) a amélioré le taux de réussite du micro-greffage de P. vera sur P. vera en passant de 4 à 78% en changeant le mode de greffage en fente longitudinale pour le mode en écusson. A ce propos, Onay et al., (2003) ont aussi rapporté que le greffage idéal du Pistacia vera sur lui-même, avec le mode en écusson affiche un taux de réussite de 70%. Chez Pistacia vera la réussite du micro-greffage dépend non seulement du mode greffage mais également de l’âge physiologique des greffons et des porte-greffes (Martinez, 1979 ; Bouzid, 1983 ; Jonard, 1986), l’époque de prélèvement des apex sur les pieds mères adultes (Poessel et al., 1980 ; Shu Ching et Millikan, 1982 ; Onay et al., 2003).

Moore (1984), Hartmann et al. (1997) et Estrada-Luna et al. (2002) ont décrit quatre étapes générales d’un greffage réussi : formation d’union, développement d’une couche nécrotique et prolifération d’un pont des cals à l’interface de greffage et la différenciation de nouveau tissu vasculaire. L’établissement des vaisseaux conducteurs entre le porte-greffe et le greffon, mise en évidence par l’étude histologique après plusieurs jours de culture des plantes greffées, prouve la réussite du greffage et la compatibilité entre les deux partenaires. Comme l’a observé Herrero (1951) sur le pêcher (var. Hle’s early) greffé sur le porte-greffe Brompton. L’auteur signale qu’un contact est très rapidement établi entre les deux partenaires et que l’activité des tissus vasculaires respectifs contribue à produire une connexion continue entre le porte-greffe et le greffon : c’est un cas de compatibilité entre les deux partenaires. De même Brian et Duron (1971) ont aussi rapporté que lorsqu’une combinaison entre le poirier (var. Passe-Crassane) et un cognassier (Cyolonta obolonga) est compatible, un cambium continu se met en place, constituant une véritable différenciation histologique, et la combinaison évolue alors normalement. Toutefois, Dkhili et al. (1995) ont montré, lors de l’étude histochimique de l'incompatibilité au micro-greffage et greffage de boutures herbacées chez la vigne, que la mise en place de raccords vasculaires n'est pas obligatoirement suffisante pour assurer la réussite ultérieure de la greffe. La répartition inégale de l'amidon entre le greffon et le porte-greffe caractérise l'incompatibilité.

 

5. Conclusion

Dans cette étude, le protocole expérimental de micro-greffage in vitro mis au point – à notre connaissance pour la première fois – peut constituer une méthode de multiplication du pistachier qui répond aux besoins du pépiniériste et producteur, notamment au niveau de la vigueur conférée et rapidité d’obtention, en pénurie de technique de micropropagation reproductible et fiable sur la compatibilité au micro-greffage du pistachier, une alternative avantageuse permettant d’éviter les problèmes de compatibilité et d’améliorer le délai de maturité. Après optimisation des paramètres milieu de culture (solide, liquide) et types d’explant (épicotyle, hypocotyle sectionné, hypocotyle enraciné), nous avons obtenu un taux de réussite finale (survie, reprise végétative et enracinement des micro-greffes) de 41 %, en utilisant un milieu liquide, et en effectuant le microgreffage des micro-boutures Pistachier vera sur les hypocotyles de Ceratonia siliqua. L’analyse et les observations histologiques au niveau de la zone de greffage a montré l’affinité entre les tissus et la compatibilité entre les deux espèces par la reprise de division cellulaire, la néoformation de tissu cicatriciel et d’éléments vasculaires au niveau de la zone d’interface. Il reste cependant nécessaire d’observer et d’étudier le comportement des vitroplants enracinés en plein champ afin de s’assurer de leur acclimatation et bonne adaptation à leur environnement naturel.

 

6. Références

Abousalim A, et Mantell S H (1994) A practical method for alleviating sloot-tip necrosis symptoms in vitro shoot culture of Pistacia vera L. cv Mateur. J. Hort. Sci. 69 (2): 357-365.

Barghchi M (1986) In vitro micropropagation of Pistacia vera L. rootstocks. Proc. Inter. Plant. Prop. Soc. 35:334-337.

Barghchi M, Alderson P G (1985) In vitro propagation of Pitacia vera L. and commercial cultivars Ohadi et kallerghochi. J. Hort. Sci. 60 (3): 423-430.

Barghchi M, Alderson P G (1989) Pistachio (Pistacia vera L.). Biotechnology in Agriculture and Forestry Tree II Bajaj, Y.P.S.(Ed.). 5: 68-98.

Bouzid S (1983) Morphogenèse et possibilités nouvelles de multiplication végétative in vitro chez le Citrus. Thèse de Doctorat. Département de biologie. Faculté des sciences de Tunis:136.

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