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Origins hierarchy of early greening sheep meat sacrificed on the occasion of Eid El Idha in Tunisia

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Hiérarchisation des origines du phénomène du verdissement précoce des viandes des ovins sacrifiés à l’occasion de l’Aïd El Idha en Tunisie

 

W. OUESLATI1*

A. ETTRIQUI1

S. ZRELLI1

11Laboratory of Food Microbiology, National School of Veterinary Medicine of Sidi Thabet, University Manouba, Tunisia.



Abstract – Our study aims to research and prioritize the origins of the phenomenon of early greening sheep meat sacrificed on the occasion of Eid El Idha in Tunisia. Indeed, following the ritual slaughter of about one million sheep on the day of Eid (September 2017), an alarm has been triggered in our country (same as in Morocco and Algeria) because of the appearance of a green color on the surface and in the depth of the sheep meats immediately after thawing. The 50 meat samples sent to the Laboratory of Food Microbiology of Sidi Thabet (Tunisia) as part of the survey conducted by the General Directorate of Veterinary Services (Competent Authority) presented morphological changes (a greenish color on the surface but much more pronounced in the deep areas of meat and intramuscular spaces associated with a putrid odor and a viscous appearance), physicochemical (high pH> 6) and microbiological (Aerobic Colony Count > 5.105 colony forming units / g, Anaerobes Sulfated Reducing agents> 1.102 colony forming units / g). These modifications led to the conclusion that the early greening of sheep meat sacrificed during Eid El Idha was directly related to a putrefaction phenomenon of bacterial origin. The deep putrefaction was the result of contamination by anaerobic spores of digestive origin (in particular those producing Hydrogen Sulfate (H2S) which are likely to cause the formation of sulfomyoglobin, derived from the green myoglobin at the origin of deep greening) associated with the superficial putrefaction that was the consequence of bacterial contamination due to poor hygiene during slaughter (certainly dominated by Pseudomonas fluorescens responsible for superficial greening). A rise in muscle pH (> 6) was observed and would likely be due to overwork or stress in ritual slaughter. Our results suggest that this increase in pH would be the triggering factor, no longer inhibiting the proliferation of bacteria of deep contamination of digestive origin, and a warm climate characterizing the summer season in Tunisia, favorable to the proliferation of bacteria of superficial contamination, would be the favoring factor.

Keywords: High pH meat - Greening sheep meat - Putrefaction

 Résumé - Notre étude vise la recherche et l’hiérarchisation des origines du phénomène du verdissement précoce des viandes des ovins saccarifiés à l’occasion de l’Aïd El Idha en Tunisie. En effet, suite à l’abattage rituel d’environ un million ovins le jour de l’Aïd (septembre 2017), une alerte s’est déclenchée dans notre pays (pareil au Maroc et en Algérie) à cause de l’apparition d’une coloration verte en surface et en profondeur des viandes ovines immédiatement après la décongélation. Les 50 échantillons de viande envoyés au Laboratoire de Microbiologie Alimentaire de Sidi Thabet (Tunisie) dans le cadre de l’enquête menée par la Direction Générale des Services Vétérinaires (Autorité Compétente) ont présenté des modifications organoleptiques (une couleur verdâtre en surface mais beaucoup plus prononcée dans les zones profondes de la viande et les espaces intermusculaires associée à une odeur putride et un aspect visqueux), physico-chimiques (pH élevé > 6) et microbiologiques (Microflore Aérobie Mésophile Totale > 5.105 unités formant colonies/g, Anaérobies Sulfito-réducteurs > 1.102 unités formant colonies/g ). Ces modifications ont permis de conclure que le verdissement précoce des viandes des ovins saccarifiés à l’occasion de l’Aïd El Idha a été en rapport direct avec un phénomène de putréfaction d’origine bactérienne. La putréfaction profonde a été la conséquence d’une contamination par les spores anaérobies d’origine digestive (notamment celles productrices d’hydrogène sulfuré (H2S) qui sont susceptibles de provoquer la formation de sulfomyoglobine ; dérivé de la myoglobine de couleur verte à l’origine du verdissement profond) associée à la putréfaction superficielle qui a été la conséquence d’une contamination bactérienne par défaut d’hygiène lors de l’abattage (dominée certainement par Pseudomonas fluorescens responsable du verdissement superficiel).Une élévation du pH musculaire (> 6) a été observée et serait probablement due à un surmenage ou à un stress en abattage rituel. Nos résultats suggèrent que cette augmentation de pH serait le facteur déclenchant, n’étant plus inhibitrice pour la prolifération de bactéries de contamination profonde d’origine digestive, et qu’un climat chaud caractérisant la saison estivale en Tunisie, favorable à la prolifération des bactéries de contamination superficielle, serait le facteur favorisant.

 

Mots clés : Viandes à pH élevé - Modifications organoleptiques - Putréfaction

 

1. Introduction

La viande est le produit de l’évolution post mortem du muscle strié. En effet, l’arrêt de la circulation sanguine et l’interruption de l’apport d’oxygène, qui résultent de la saignée de l’animal, sont à l’origine d’un ensemble de changements dans le métabolisme des muscles striés. Ces modifications métaboliques ont des répercussions sur les caractéristiques macroscopiques, biochimiques, physico-chimiques et organoleptiques du tissu musculaire et conduisent à sa transformation en viande (Durand et al. 2001).

Le processus de la transformation du muscle en viande comprend trois stades représentés par le stade pantelant, le stade de rigidité cadavérique et le stade de maturation. Au terme de ces trois stades, la viande développe des caractéristiques organoleptiques (couleur, tendreté et flaveur) d’importance capitale lors de sa consommation en l’état. Celle-ci développe de même les caractéristiques technologiques (pH, Pouvoir de Rétention d’Eau (P.R.E.),…) ayant un intérêt pour sa conservation ou sa transformation (Touraille 1994). Par ailleurs, il convient de signaler que le surmenage musculaire du vivant de l’animal et le stress excessif peuvent aboutir à une anomalie d’évolution qui correspond aux viandes à pH élevé encore appelées viandes surmenées (Boccard et Valin 1988).

L’absence de repos avant l’abattage des animaux présentant un surmenage musculaire constitue la principale origine de la production des viandes à pH élevé. En effet, les efforts musculaires intenses et prolongés du vivant de l’animal (animaux transportés sur des longues distances et dans des conditions laborieuses) provoquent l’épuisement de l’A.T.P. et des réserves énergétiques en glycogène du muscle (Rosset et al. 1988 ; Li et al. 2015). Au même titre, les agressions ante mortem de l’animal (conditions de chargement / déchargement ou de stabulation : mélange d’animaux d’espèces différentes) et l’absence du respect du bien être animale lors du transport sont à l’origine d’une sécrétion accrue d’adrénaline qui à son tour déclenche une glycogénolyse intense aboutissant à une réduction significative des réserves musculaires en glycogène (Dokmanovic et al. 2015). Après l’abattage, la glycogénolyse se trouve réduite et par conséquent la production d’acide lactique est insuffisante pour faire abaisser le pH de la fibre musculaire, qui reste supérieur à 6. L’épuisement rapide des réserves énergétiques après l’abattage conduit à l’entrée précoce du muscle en phase de rigor mortis. La rigidité cadavérique installée sur des muscles surmenés est durable puisqu’un pH ultime supérieur à 6 ne permet pas l’activation des systèmes protéolytiques responsables de la maturation (Ouali et al. 2006).

L’augmentation de la valeur du pH ultime par rapport à la normale est à l’origine d’une réduction notable de l’aptitude de la viande à la conservation et à la transformation. En effet, le pH supérieur à 6 est favorable à la multiplication des germes de putréfaction et de germes pathogènes (Rosset et Lamleloise 1988 ; Riosmera et al. 2017). En pratique, il convient de noter qu’une odeur de relent et un verdissement peuvent apparaître rapidement dans la viande découpée conditionnée à cause d’une prolifération microbienne dans la profondeur de la masse musculaire. Notre étude s’inscrit dans ce cadre et vise la recherche et l’hiérarchisation des origines du phénomène du verdissement précoce des viandes des ovins saccarifiés à l’occasion de l’Aïd El Idha en Tunisie (septembre 2017). En effet, suite à l’abattage rituel d’environ un million ovins le jour de l’Aïd, une alerte s’est déclenchée dans notre pays (au même titre qu'au Maroc et en Algérie) à cause de l’apparition d’une coloration verte en surface et en profondeur des viandes ovines immédiatement après la décongélation.

 

2. Matériel et méthodes

2.1. Echantillons

Notre étude a porté sur 50 échantillons de viande ovine (provenant de tout le territoire Tunisien) présentant une coloration verte et une odeur putride immédiatement après la décongélation. Ces échantillons ont été collectés par les Services Vétérinaires auprès des citoyens ayant déclaré que les viandes des ovins saccarifiés à l’occasion de l’Aïd El Idha (septembre 2017) présentaient un verdissement précoce.

Les échantillons de viande, livrés en caisson isotherme sous-glace, ont été réceptionnés à l’état congelé au Laboratoire de Microbiologie Alimentaire de Sidi Thabet (Tunisie).

 

2.2. Protocole de l’étude

Les échantillons ont été décongelés au réfrigérateur à une température comprise entre +4°C et +6°C pendant 24 heures conformément aux normes en vigueur (Institut International du Froid 1986).

Après ouverture aseptique, les échantillons ont fait l’objet de prise d’essais pour les soumettre aux différentes investigations de laboratoire qui consistent à un examen organoleptique associé à des analyses physico-chimiques et bactériologiques.

L’examen organoleptique est un test sensoriel qui fait intervenir la vision, l’odorat et le toucher et qui a pour objectif la recherche des anomalies de couleur, d’odeur et d’aspect au toucher en surface et en profondeur. Ces anomalies (couleur verdâtre, odeur putride ou aigre, aspect visqueux ou collant…) sont des indicateurs sensoriels d'altération de la qualité de la viande et compromettent l'aptitude de cette denrée à la conservation. L’examen organoleptique a été réalisé par un technicien qualifié.

Les analyses physico-chimiques réalisées consistent en la mesure de pH (pH-mètre WTW7110 inoLab®).

Les analyses bactériologiques ont porté sur un indicateur de contamination superficielle de la carcasse et un indicateur de contamination profonde de la viande représentés respectivement par la Microflore Aérobie Mésophile Totale (MAMT) et les Anaérobies Sulfito-réducteurs (ASR).

 

2.3. Méthodes d’analyses bactériologiques

2.3.1. Critères bactériologiques

En se référant à la Note de Service de la Direction Générale de l’Alimentation de la République Française (N.S. D.G.A.L. N2001-8090 du 27 juin 2001) relative aux critères microbiologiques applicables aux aliments, les teneurs en MAMT et en ASR ne doivent pas dépasser les seuils d'acceptabilité respectifs (M) de 5.105 UFC (unité formant colonie)/g et 102 UFC/g, pour les viandes ovines décongelées.

 

2.3.2. Préparation des solutions mères et des dilutions décimales

La prise d'essai correspond à 10 g prélevée aseptiquement (en surface pour le dénombrement de la MAMT et en profondeur après cautérisation de la surface pour le dénombrement des ASR). La suspension mère (de dilution 10-1) est obtenue en transférant 90ml d’eau peptonée tamponnée dans le sachet stomacher contenant la prise d'essai.

La préparation des autres dilutions (jusqu'à la dilution 10-4), est effectuée en transférant 1 ml de chaque dilution dans un tube contenant 9 ml d’eau peptonée tamponnée.

 

2.3.3. Dénombrement de la M.A.M.T.

Le dénombrement de la MAMT a été réalisé conformément aux recommandations de la norme NF ISO 4833 (2003).

Le dénombrement de la M.A.M.T repose sur l’ensemencement en double et en profondeur d’une gélose Plate Count Agar (P.C.A.) qui est une gélose nutritive permettant la croissance des germes aérobies. Les boîtes de P.C.A. ensemencées (à raison d’1 ml de la dilution correspondante par boîte) sont incubées à 30 °C pendant 24 à 72 heures. Les colonies caractéristiques sont blanches d’environ 2 mm de diamètre (Figure 1).

 

2.3.4. Dénombrement des Anaérobies Sulfito-Réducteurs

Le dénombrement des ASR a été réalisé conformément aux recommandations de la norme NF V08-061 (2005). La culture des A.S.R. est réalisée sur un milieu TSN (Tryptone Sulfite Néomycine). Chaque tube de TSN est ensemencé par 1 ml du prélèvement et ce du fond vers la surface de la gélose maintenue en surfusion. Après ensemencement et homogénéisation de l’inoculum, la gélose est refroidie par immersion des tubes dans de l’eau froide. L’incubation est réalisée à 46 °C pendant 24 heures. Les colonies caractéristiques sont de coloration noire, brillantes, arborescentes et de quelques mm de diamètre (Figure 2).

 

 

 

Figure 1. Dénombrement de la Microflore Aérobie Mésophile Totale (M.A.M.T.)

 

 

 

Figure 2. Méthode de dénombrement des Anaérobies Sulfito-Réducteurs

 

3. Résultats et Discussion

3.1. Résultats

3.1.1. Anomalies organoleptiques

L’examen organoleptique des échantillons a révélé des anomalies de couleur, d’odorat et d’aspect au toucher (tableau I).

 

3.1.2. Anomalies physico-chimiques

L’évolution anormale du pH post mortem (pH > 6) a été l’anomalie physico-chimique révélée par notre étude (tableau I).

 

Tableau I : Anomalies physico-chimiques et organoleptiques

Critères

Anomalies

Taux

 

pH

 

> 6 (viande surmenée)

 

100% (50/50)

 

 

 

Couleur

 

En surface

Verdissement léger

12% (6/50)

Verdissement

56% (28/50)

Verdissement net

32% (16/50)

En profondeur

Verdissement net

100% (50/50)

 

 

 

Odeur

 

 

En surface

Légèrement Putride

12% (6/50)

Putride

56% (28/50)

Putride prononcée

32% (16/50)

 

En profondeur

Légèrement Putride

0%(0/50)

Putride prononcée

68%(34/50)

Putride très prononcée

32%(16/50)

 

 

 

Aspect à la toucher

 

En surface

Légèrement Visqueux

12% (6/50)

Visqueux (poissage)

56% (28/50)

Très Visqueux (poissage épais)

32% (16/50)

 

En profondeur

Légèrement Collant

0%(0/50)

Collant

68%(34/50)

Très Collant

32%(16/50)

 

3.1.3. Qualité bactériologique

Les Taux de dépassement des seuils d’acceptabilité indiqués par Note de Service de la Direction Générale de l’Alimentation de la République Française (N.S. D.G.A.L. N2001-8090 du 27 juin 2001) relative aux critères microbiologiques applicables aux aliments (Microflore Aérobie Mésophile Totale et Anaérobies Sulfito-réducteurs) applicables à la viande ovine sont de 100% avec des teneurs de contamination superficielle très élevées nettement supérieures au seuil du déclanchement du phénomène de putréfaction superficielle (tableau II).

 

Tableau II : Evolution des indicateurs de contamination bactérienne

Critères

Niveau de contamination

Taux

Microflore Aérobie Mésophile Totale (MAMT) (UFC/g)

5. 105-1.106

12% (6/50)

1.106-1.10(poissage)

56% (28/50)

1.108-1.10(poissage épais)

32% (16/50)

Anaérobies Sulfito-réducteurs

(ASR) (UFC/g)

10-1.102

0%(0/50)

1.102-1.103

68%(34/50)

1.103

32%(16/50)

 

3.1.4. Etude synthétique

La combinaison des résultats de l’examen organoleptique et des analyses physico-chimiques et bactériologiques a permis de classer les échantillons en trois catégories d’altération en fonction de leurs caractéristiques (Tableau III, Photos 1, 2 et 3).

 

Tableau III: Classification des échantillons par catégorie d’altération

 

 

Catégorie d’altération

 

Anomalies organoleptiques

Anomalies

physico-chimiques

 

Contamination bactériologique

 

 

Taux

en surface

en profondeur

pH

 

MAMT (UFC/g)

ASR (UFC/g)

Catégorie I

(Photo 1)

Couleur

Verdissement léger

Verdissement net

 

> 6

 

 

5. 105-1.106

 

1.102-1.103

 

12% (6/50)

Odeur

Légèrement Putride

Putride prononcée

Toucher

Légèrement Visqueux

Collant

Catégorie II

(Photo 2)

Couleur

Verdissement

Verdissement net

 

> 6

 

 

1.106-1.107

 

1.102-1.103

 

56% (28/50)

Odeur

Putride

Putride prononcée

Toucher

Visqueux (poissage)

Collant

Catégorie III

(Photo 3)

Couleur

Verdissement net

Verdissement net

 

> 6

 

 

1.108-1.109

 

1.103

 

32% (16/50)

Odeur

Putride prononcée

Putride très prononcée

Toucher

Très Visqueux (poissage épais)

Très Collant

 

 

 

Figure 3. Echantillon de la catégorie I

 

 

 

Figure 4. Echantillon de la catégorie II

 

 

 

Figure 5. Echantillon de la catégorie III

 

3.2. Discussion

3.2.1. Origine des viandes à pH élevé (pH>6)

Notre étude a révélé que 100% (50/50) des échantillons présentant des anomalies organoleptiques se caractérisent par une valeur de pH supérieur à (Lameloise et al. 1988 ; Rios-Mera et al. 2017). Il est à noter qu'au cours d'un processus d'évolution normale du muscle en viande, la valeur du pH de la fibre musculaire reste inférieure à 6. En effet, après la saignée de l'animal, il se produit progressivement, un abaissement de la valeur du pH musculaire, favorable à une bonne conservation de la viande. Ainsi, après l’abattage, du fait de l’arrêt de la circulation sanguine, le muscle se trouve privé d’oxygène. Or dans les instants qui suivent la saignée, les fibres musculaires sont animées de contractions fibrillaires désordonnées et anarchiques résultant d’un dérèglement de l’influx nerveux(Rios-Mera et al. 2017).

La synthèse de l’A.T.P. au cours des contractions musculaires, repose essentiellement sur la réaction de glycolyse en anaérobie. La régénération de l’A.T.P. s’accompagne d’une libération des protons dans le milieu cellulaire à raison d’un proton par molécule d’acide lactique produite par la glycolyse. Par conséquent, la valeur du pH chute au cours du stade pantelant. Elle passe de 7,2 à 6,7 à la fin de cette phase chez un bovin en bon état physiologique. Cette acidification va s’accentuer pendant la phase de rigor mortis suite à l’accumulation progressive de l’acide lactique dans le tissu musculaire. Le pH ultime est atteint au bout de 24 heures en moyenne chez un bovin en bon état physiologique. L'amplitude de la baisse du pH dépend des réserves énergétiques de l'animal. Il convient de signaler que lorsque le pH atteint une valeur de 5,5 (le pH isoélectrique des myofibrilles pHi est égale à 5,4), la transformation du glycogène en acide lactique s’arrête même s’il reste encore du glycogène en réserve (Cheftel et al. 1986 ; Chen et al. 2016). Au cours du dernier stade de l'évolution du muscle en viande, en l'occurrence la maturation, le pH de la fibre musculaire augmente légèrement mais reste inférieur à 6. Toutefois, dans le cas d’insuffisance de réserves énergétiques (cas des animaux soumis à un surmenage musculaire), le pH de la fibre musculaire se stabilise à des valeurs supérieures à 6 suite à l’épuisement in vivo du glycogène générateur d’acide lactique (Lameloise et al. 1988 ; Dokmanovic et al. 2015). Les viandes issues de ces animaux sont dites « viandes à pH élevé » ou "viandes surmenées". Ainsi, le transport des animaux sur de longues distances et dans des conditions laborieuses (animaux non protégés des rayons du soleil, les normes de surface par animal ne sont pas respectées...) comme c'est le cas de plusieurs moutons sacrifiés pendant la période de "l'Aïd", pourrait favoriser la production des viandes à pH élevé.

En effet, les efforts musculaires intenses et prolongés du vivant de l’animal, provoquent l’épuisement de l’A.T.P. et des réserves énergétiques en glycogène du muscle (Chen et al. 2016).

 

3.2.2. Origine des modifications organoleptiques superficielles

L’augmentation de la valeur du pH ultime par rapport à la normale est à l’origine d’une réduction notable de l’aptitude à la conservation de ces viandes.

En effet, le pH supérieur à 6 est favorable à la multiplication des bactéries agents d’altération. Ces bactéries seraient à l'origine de l'apparition de la couleur verdâtre en surface de tous les échantillons de viande (Newton et al. 1981; Dokmanovic et al. 2014).

Ainsi, l'intensité de la coloration verte superficielle des échantillons de viande, se trouve proportionnelle au niveau de la contamination par la Microflore Aérobie Mésophile Totale (Rosset et al. 1988).

Il convient de rappeler que les échantillons de viande de catégorie I (verdissement superficiel léger) présentent une teneur en Microflore Aérobie Mésophile Totale inférieure à 10UFC/g ; cette couleur devient plus intense respectivement lorsque les teneurs atteignent 107 UFC/g (catégorie II), et 109 UFC/g (catégorie III).

La microflore aérobie totale regroupe un ensemble de microorganismes, dont la présence à des teneurs au delà des limites définies (5.105 UFC/g) signifie le non respect des bonnes pratiques de préparation des animaux. Les bactéries psychrotrophes, qui conservent une activité notable à des températures inférieures ou égales à +7°C (Bornert, 2000), font partie de cette microflore. Parmi les bactéries psychrotrophes fréquemment incriminés dans les phénomènes d'altération superficielle des viandes réfrigérées, il y a lieu de citer les espèces du genre Pseudomonas, notamment l’espèce Pseudomonas fluorescens (produit un pigment hydrosoluble fluorescent de couleur jaune-vert, la pyoverdine). La croissance des souches de Pseudomonas fluorescens est accélérée lorsque la valeur du pH du milieu avoisine la neutralité (Dias dos Anjos Gonçalves et al. 2017).

De fait, lors de leur phase de croissance exponentielle, les souches de Pseudomonas, augmentent leur consommation en oxygène. La tension en oxygène s’en trouve diminuée, ce qui favoriserait le développement d’autres bactéries d’altération, anaérobies facultatives et psychrotrophes dont les souches de Brochothrix thermosphacta. Cette bactérie est connue comme agent fréquent d’altération des viandes, pouvant être responsable d’un verdissement superficiel (Stanborough et al. 2017).

Dans le cas d'une rupture de la chaine du froid, la reprise de l'activité de la microflore mésophile, peut également être à l'origine de l'apparition d'une couleur verte superficielle (Bornert, 2000).

Au même titre que les modifications de la couleur, le développement bactérien s’accompagne d’une modification de la texture de la viande, liée à l’apparition d’un enduit visqueux, gluant et superficiel. Les activités protéolytiques des souches de Pseudomonasseraient à l’origine de l’apparition de cet enduit (Bornert, 2000).

Il est à noter que, les teneurs en bactéries supérieures à 10UFC/g et 10UFC/g seraient à l’origine de l’apparition respective des phénomènes de poissage (enduit visqueux léger) et de limonage (enduit visqueux épais).

La multiplication bactérienne est également à l'origine d'une modification de l'odeur du produit, proportionnelle à la charge de la contamination.

L'étude du génome de plusieurs souches de Brochothrix thermosphacta a monté l'existence de gènes impliqués dans la production de composés malodorants dans la viande (Stanborough et al. 2017).

Ces composés proviennent de la conversion du pyruvate en divers produits finaux. En effet, dans des conditions aérobies, Brochothrix thermosphacta produit de l’acétoïne (à l'origine d'une odeur désagréable) à partir du diacétyle provenant de la transformation du pyruvate (Stanborough et al. 2017).

D'autres bactéries, responsables des phénomènes d'altération, sont susceptibles de contaminer davantage les viandes pendant la période de l'Aïd. En effet, les conditions de préparation des animaux ainsi que la manipulation des viandes s'effectuent, généralement sans respect des règles de bonnes pratiques d'hygiène. En outre la conservation sous régime de froid s'effectue souvent tardivement.

 

3.2.3. Origine des modifications organoleptiques profondes

Tous les échantillons objets de notre étude présentent une coloration verte en profondeur associée à une odeur putride prononcée et à une texture collante.

Il est à noter que certains micro-organismes peuvent élaborer des pigments verdâtres à partir de la myoglobine. Les bactéries productrices d’hydrogène sulfuré (H2S) sont susceptibles de provoquer ainsi la formation de sulfomyoglobine (Libardi et al. 2013). Ce pigment vert se forme dans les viandes à pH élevé sous de basses pressions en oxygène (Nicol et al. 1970 ; Shange et al. 2017)

Les bactéries anaérobies sulfitoréductrices (A.S.R.), présentes dans les échantillons objets de notre étude à des teneurs supérieures aux limites définies (102 UFC/g), seraient à l’origine du verdissement en profondeur. Ces bactéries seraient également à l'origine de l'apparition d'une odeur putride (Libardi et al. 2013).

Il convient de rappeler que les échantillons classés dans les catégories I et II, présentent des teneurs en ARS comprises entre 102 et 103 UFC/ g. Pour la catégorie III (odeur putride encore plus marquée), les teneurs en ARS dépassent 103 UFC/ g.

Ces bactéries sporulées, naturellement présentes dans le tube digestif des animaux de boucherie, peuvent par ailleurs diffuser dans le muscle suite à un stress ante mortem intense (Libardi et al. 2013).

Au même titre que le stress, le non respect de la période de diète hydrique avant l’abattage, pourrait entrainer une bactériémie d’origine digestive.

La viande fortement contaminée par les anaérobies sulfitoréducteurs, pourrait donc être issue de moutons ayant subi beaucoup de stress ou sacrifiés sans respect de la période de diète hydrique.

La modification de la texture observée en profondeur de tous les échantillons, serait liée aussi bien au développement bactérien, qu'au fait que les viandes à pH élevé se caractérisent par un fort pouvoir de rétention d'eau.

En se référant aux caractéristiques macroscopiques de ces viandes, les Anglo-Saxons leur ont attribué la dénomination DFD (Dark, Firm and Dry). En effet, cette dénomination indique les trois caractères majeurs de ces viandes : Dark : couleur sombre ; Firm : consistance ferme et Dry : caractère sec et collant lié au fort pouvoir de rétention d'eau de ce type de viandes (Dokmanovic et al. 2015).

En conclusion nos résultats ont mis en exergue que tous les échantillons objets de cette étude présentent les caractères organoleptiques en faveur des "viandes surmenées".

 

4. Conclusion

Les anomalies organoleptiques, physicochimiques et microbiologiques révélées par notre étude ont permis de conclure que le verdissement précoce des viandes des ovins saccarifiés à l’occasion de l’Aïd El Idha a été en rapport direct avec un phénomène de putréfaction d’origine bactérienne.

La putréfaction profonde a été la conséquence d’une contamination par les spores anaérobies d’origine digestive (notamment celles productrices d’hydrogène sulfuré (H2S) qui sont susceptibles de provoquer la formation de sulfomyoglobine ; dérivé de la myoglobine de couleur verte à l’origine du verdissement profond) associée à la putréfaction superficielle qui a été la conséquence d’une contamination bactérienne par défaut d’hygiène lors de l’abattage (dominée certainement par Pseudomonas fluorescens responsable du verdissement superficiel ). Le pH musculaire > 6 (observé lors de surmenage ou de stress en abattage rituel), n’étant plus inhibiteur pour la prolifération de bactéries de contamination profonde d’origine digestive, serait le facteur déclenchant et un climat chaudcaractérisant la saison estivale en Tunisie, favorable à la prolifération des bactéries de contamination superficielle, serait le facteur favorisant.

Afin de prévenir l'apparition de ce phénomène pendant les périodes d’Aid El Idha des années à venir, il est très important de veiller à l'amélioration des conditions de transport des animaux. D'autre part, une période de repos diète hydrique de 24 heures avant l'abattage doit être respectée. De même les conditions d'abattage ne doivent en aucun cas infliger un stress pour les animaux. Il faut également procéder à la réfrigération rapide des viandes surtout pendant les saisons chaudes.

 

5. Références

Boccard R, Valin C (1988) Evolution post mortem du muscle. In Les viandes hygiène et technologie Ed ITSV Paris : 107-115

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